Sol-4 , N-0E, le Yéti [Eric]

Un essai tout simple que j'ai écrit avant-hier en prenant mon petit déjeuner.

Citation :

SOL-4, 14/12/2005

Il vit. Son regard pénétra les nébulosités éclairées latéralement par la lumière qu'il venait de créer, qui resplendissaient de mille nuances d'oranges et de rouges, formant un camaïeu de soleil couchant qui évoquait le précipité d'un nuage de lait dans une tasse de thé fort.
Comme un soleil couchant.
Il se prit à rêver et se dit que cela était beau.
Son regard descendit lentement, se focalisant progressivement sur les couches plus basses, et il vit.
Il vit ces choses minuscules se déplacer à tire d'ailes au-dessus de la surface en vols gracieux, décrire moultes courbes enchanteresses dans d'étonnants ballets aériens. Il vit, plus bas, les mille et une espèces d'animaux aussi étranges que variées, se déplacer sur les langues de la terre nourricière qui les portait. Il vit ces sortes d'animaux à crinières pourchasser d'autres plus graciles à longues cornes courbées, il vit ces curieuses bêtes si hautes sur pattes et au si long cou paître paisiblement dans les feuillages de hauts épineux, il vit les immenses troupeaux de paisibles herbivores arpenter les vastes plaines, il vit les forêts, grouillantes de vie, agitées de couleurs, frémissantes de l'espoir d'un monde nouveau, il vit les campements, les gens autour des feux préparant le repas du soir dans leurs gamelles primitives, levant des yeux inquiets vers le ciel, il vit les vastes étendues liquides agitées de minuscules vagues s'organisant en rides de houle, sous lesquelles nageaient, insouciants, des multitudes de poissons brillants...
Il vit la vie, il vit la beauté du monde, il vit l'espoir et le bonheur, il vit tout cela et se dit qu'un tel développement en seulement sept jours tenait du miracle. Oui, décidément, du miracle, murmura-t-il en levant les yeux de son binoculaire.
« La sol-4 est-elle prête pour le test avec la b112 ? » demanda son assistant Gabriel en apportant une éprouvette.
« Là j'ai quand même un doute : est-ce bien raisonnable ? » murmura le patron en regardant, pensif, la boite transparente étiquetée Solution 4 au centre de laquelle s'était développée la minuscule boule à peine visible à l'oeil nu. « Elle est intéressante, laissons-lui une chance d'arriver à maturité. »
L'assistant reprit la boite et la rangea dans l'incubateur en haussant les épaules. « Comme vous voudrez, Dieu. » conclut Gabriel.

-eric-

Et ce que j'ai griffonné pendant mon petit déjeuner ce matin :
Edit du parcheminé : J'ai fusionné les deux sujets, afin de conserver la fluidité du texte. Merci aux lecteurs de ne pas poster dans ce sujet, et de le laisser entièrement à Eric. Les commentaires peuvent être postés dans la rubrique débat.

Citation :

N-0E 16/12/05

« Mademoiselle Buth est demandée dans le bureau du directeur, Mademoiselle Buth, s'il vous plait. »
L'annonce résonna deux fois dans les interminables couloirs du centre de recherche.
La plantureuse créature aux cheveux de geais qui répondait au prénom de Zoé se cala dans le fauteuil, face au vaste bureau du directeur. Sa blouse incomplètement boutonnée laissait entrevoir des charmes qui habituellement lui autorisaient un aplomb qui assurait son influence sur ses collègues, mais là c'était peine perdue : le patron était de marbre pour ce genre de choses. Ce vieillard sec, calculateur, froid, inflexible, et pourtant tellement insupportablement bon, la stressait au possible. Elle haïssait ce bureau.
« Vous avez demandé à me voir, Monsieur » murmura-t-elle, mal à l'aise. Ce n'était pas la première fois qu'elle prenait place dans ce fauteuil, et ça ne s'était pas toujours bien passé.
« En effet. » gronda le directeur. « En effet. Vous étiez ce matin en charge des cultures dans l'unité 7, n'est-ce pas ? »
Elle acquiesca d'un signe inquiet. Elle tenta d'un regard de biche apeurée d'amadouer son interlocuteur, mais le boss était inébranlable, impénétrable :
« Et vous avez appliqué les milieux N-Ø1 à N-3C aux cultures. » continua-t-il, d'un ton où s'insinuait une sourde menace.
« Oui. » hésita-t-elle. Elle l'avait rarement vu comme ça, et cela l'inquiétait au plus haut point. Que s'était-il donc encore passé dont elle ait à nouveau à répondre ?
« Y compris à la solution 4 à laquelle vous avez appliqué le milieu N-ØE, en telle quantité que vous avez quasiment tout noyé ? » gronda la voix, prononçant si lentement chacun des mots que le moindre d'entre eux vibrait d'une connotation de catastrophe.
« C'est possible, j'ai parfois la main un peu lourde, monsieur le directeur, mais... »
« Et ce » la coupa le vieillard, « sans tenir compte des consignes particulières inscrites sur le cahier de manipulations concernant cette solution spécifique ? »
« Je n'ai pas vu... » murmura-t-elle, de plus en plus gênée.
« Dites plutôt que vous n'avez pas lu les consignes ! » gronda la voix du patron.
« Et bien, peut-être pas tout » hésita-t-elle. « Mais comme c'est toujours la même chose... »
« Et bien non ! Ce n'est pas toujours la même chose ! C'est bien pour cela, mademoiselle, qu'il y a un cahier de consignes ! Cahier que vous vous êtes permis de ne pas lire, entraînant la déterioration de cultures importantes, et ce n'est pas la première fois ! »
« Mais... je... » hoqueta-t-elle, blême.
« Vous prenez trop de libertés avec les consignes, mademoiselle » tonna le directeur. « Et l'on m'a rapporté pas plus tard qu'hier que vous vous permettiez de surcroît de critiquer dans mon dos l'organisation du service ! »
« Mais non » bafouilla-t-elle. « Ce n'est pas ce que vous... »
« Il suffit ! » Le ton était sans appel. « Ca ira pour cette fois. Sachez simplement que vos bêtises ont pu être réparées in-extremis, et que le pire a été évité. Nous oublierons donc cet incident si vous vous tenez à carreaux et suivez à l'avenir scrupuleusement les consignes ! Il n'y aura pas toujours quelqu'un de bien intentionné pour passer derrière vous, mademoiselle Buth. Et je ne serai pas toujours aussi patient. Vous pouvez disposer. » conclut-il sèchement.
Dépitée, la belle laborantine essuya une larme et quitta le bureau, tête baissée. Une fois de plus elle n'avait pu faire usage de ses charmes : l'individu était insensible et intraitable. Il commençait à lui courir sur le haricot. Un de ces jours elle allait te l'envoyer promener...

Le vieillard s'adossa à la hotte à flux laminaire, observant son technicien.
« Une chance, mon cher Gabriel, que vous soyez passé derrière. » murmura-t-il à son attention. « Elle avait complètement noyé la culture. Et je sais si j'y tiens, à celle-là ! »
« Certes. » fit lentement le technicien sans lever le nez du binoculaire. « Au lieu des trois gouttes elle avait fait un vrai déluge ! Mais j'ai vérifié, un échantillonnage suffisant d'organismes a survécu sur des débris flottants. Ca va pouvoir repartir. »
« Une chance » continua le directeur, « que la N-ØE ait été un témoin. »
« Un témoin? »
« De l'eau, simplement. Les références des milieux témoins sont gardées secrètes pour ne pas induire de différences de comportement des techniciens pendant les manipulations. »
« Une chance en effet » rigola Gabriel. « Sinon la culture était bel et bien fichue. »
« Assurément » soupira le patron. Il sourit, pensif : « Elle est belle, Zoé Buth, mais je me demande si je n'ai pas fait une bêtise en l'embauchant sur le projet. »
« Vous avez raison, Dieu. » acquiesça Gabriel. « Nous n'avons pas fini d'avoir des problèmes avec elle ! »

- eric -

-- LE YETI --

Une petite nouvelle toute courte, un peu dans l'esprit des deux précédentes, toutefois. A méditer, ou à défaut, à m'éditer.

Citation :

Le Yéti

Du haut de la montagne le grand singe blanc observait la plaine. Son odorat exceptionnel, sa vue et son ouie exceptionnelles lui permettaient de se tenir au fait des évolutions du monde, et il y était attentif. Il l'avait vu changer, peu à peu, imperceptiblement. Il avait vu tant de civilisations prospérer dans le sang de leurs ancêtres, tant de cités se rebâtir sur les cendres des précédentes, il avait vu disparaître tant d'anciennes races et naître tant de nouvelles ! Il avait suivi la transformation de ses semblables primates en vrais bipèdes, les avait vu évoluer dans leurs postures, leurs traits, leurs langages, leur nombre. Ils avaient conquis toutes les terres émergées, s'étaient lancés à l'assaut des océans, de l'air, de l'espace, des montages.
Il frémit : il s'en était fallu de peu qu'ils ne découvrent sa retraite.
Lui le reclus, lui le solitaire, lui le plus ancien, lui l'immortel.
Ils lui avaient même donné un nom, qu'au hasard des conversations qu'il avait entendues montant de la vallée il était parvenu à identifier : le Yéti.
Quelle ironie. Lui qui avait tant fait pour eux, lui qui était l'instigateur de tant de choses, était aujourd'hui considéré comme une légende, comme un monstre improbable, comme une chimère! Comme un animal de cirque, pour peu qu'on le trouve.
Il avait été tenté de se montrer, de descendre les détromper, de leur expliquer, mais... il y avait renoncé. Intervenir maintenant dans un monde qui avait tant évolué sans lui ne l'intéressait pas, et il était bien conscient qu'à partir du moment où son existence serait révélée il n'aurait plus un instant de cette paix à laquelle il aspirait tant.
Pour être tranquille, pour qu'on le laisse seul, il leur avait donné leur liberté. Il leur avait laissé les forêts, les arbres, les plaines... Il leur avait donné les fruits, les animaux, les grains, les sources... Il avait été l'accompagnateur de leurs premiers pas, et les avait laissé grandir, leur avait laissé leur liberté, leur libre arbitre... Sa mission était accomplie, il n'aspirait plus qu'à la paix, lui l'ancien, lui l'ancêtre, lui l'obsolète, l'anachronique, l'immortel, le premier.
Maintenant il les observait, chaque jour un peu plus déçu par la transformation trop rapide, trop destructrice de ce monde qu'il avait conçu.
Il les observait et s'interrogeait chaque jour un peu plus...
Il les avait façonnés à son image : qu'avait-il donc raté pour que tout cela dérive à ce point?

--Eric--